La chronique du saltimbanque : « L'irruption du passé »

« Lorsqu’un homme cache son passé, il n'a plus de futur. » Amis de la chronique du saltimbanque salut ! « Lorsqu'un homme cache son passé, il n'a plus de futur ». Ce proverbe des indiens Navarro a sonné en moi samedi dernier, suite à la palabre coutumière que j'avais accepté de dire pour le compte du fils de mon ami Antoine.

Quand mon ami Antoine m'a parlé de l'affaire, j'avais hésité. C'est son épouse qui m'avait quasiment convaincu. Je m'étais alors senti investi d'une mission noble, celle de devoir contribuer à tisser entre deux familles, des liens conjugaux basés sur le respect.

Le respect, c'est ce qui caractérisait Alex, le fils de mon ami Antoine. C'était lui, le principal concerné. Il voulait que sa famille et celle de sa petite amie officialisent leur relation. « Ainsi tonton, ça nous évitera de faire des bêtises. Tout comme moi, Annette y tient également. » Avait-il conclu avec tout le respect qui le caractérisait.

Il n'avait pas tout à fait tort le gamin. Même s'il avait à présent 22 ans, Alex restait pour moi ce gamin que j'avais vu grandir et se transformer à mes yeux.

Son initiative tranchait d’avec les pratiques de nombre de jeunes de son âge qui croquaient à pleines dents dans le premier flirt avec fougue et insouciance primesautières.

« Tu sais tonton, avec toi, je n’aborde pas les même questions qu’avec papa. Lui, n’a pas le temps de m’écouter. Il est toujours occupé à quelque chose. »

Ce n’était pas faux, ce constat d’Alex, le fils de mon ami Antoine. Son père était occupé, c’est le cas de le dire. Même s’il ne versait pas vraiment dans l’alcool, mon ami Antoine allait souvent chercher l’oubli dans des fréquentations extraconjugales et son fils le savait.

J’étais convaincu que par respect pour son père, Alex n’osait évoquer ces questions avec lui, ni le juger, encore moins en parler à sa mère. Il espérait que le fait que son père sache qu’il savait aurait changé la situation. L’enfant en souffrait, je le savais.

Je m’étais pris d’admiration pour cet enfant au point que j’en étais devenu le parrain.

Alex comprenait autant les hommes que les choses. Il avait une force de raisonnement qui transcendait les phénomènes et s’interdisait tout jugement de valeur. Surtout négatif.

Alex et sa petite amie s’était convenus de s’offrir leur virginité en cadeau de noces.

« Tu sais tonton, j’ai envers Josette un devoir plus grand que celui d’aimer. Ça n’a pas été facile de convaincre sa mère. Josette est fille unique. Son père est décédé alors qu’elle n’était pas encore née. Sa maman me fait confiance car elle ne veut pas que quelque chose de désobligeant arrive à sa fille. J’espère que tu décideras papa à ne pas trouver d’excuse pour samedi. C’est le jour de la semaine où il est vraiment imprévisible. »

Pauvre gamin, s’il savait, quel combat je menais pour amener son père à tempérer sa gourme. Heureusement, ce travail de longue haleine commençait à payer. L’eau qui tombe goute à goute fini parfois par venir à bout d’un rocher. Et, mon ami Antoine était bien un rocher. Peut-être l’âge y faisait-il son effet. Mon ami Antoine n’était plus ce train omnibus qu’il était naguère, embarquant dans chaque gare. À présent, il était plutôt devenu un « semi-direct ». Avant, c’était pire. Il était de ceux que Marguerite Yourcenar évoquait : ces hommes qui ont dans leur mémoire un cimetière des amours qu’ils ont tuées au long de leur vie de Don Juan.

Avant ! Je repense encore à cette étudiante, Arlette. C’était il y a à peu près 18 ans. Elle était tombée dans l’escarcelle de mon ami Antoine. Alors qu’elle s’était découverte enceinte des œuvres de mon ami Antoine, celui-ci avait dans un premier temps nié en être l’auteur, avant de la pousser à un avortement car lui dit-il, il était marié. J’avais été très affecté par cet épisode des escapades de mon ami Antoine. Hélas, c’était le passé et beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts.

En ce samedi, le temps était beau. Nous nous rendîmes, Alex, son père sa mère et moi dans la famille de sa petite amie. Je me sentais investi d’une mission noble. Cela valait le coup pour Alex et je savais que jamais il ne me décevrait.

Nous arrivâmes quelques minutes avant l’heure convenue. C’est une pratique de la coutume, une marque de respect aux amis aussi de grandeur pour la famille. Josette la petite amie d’Alex nous salua les uns après les autres. Son salut s’accompagnait d’une génuflexion de révérence. « Bien élevée cette fille, me dis-je ton au fond de moi. » Elle nous installa puis alla appeler sa mère. Ce cérémonial fait justement parti des us de chez nous.

La maman de Josette vint bientôt. Elle embrassa l’épouse de mon ami Antoine pendant qu’Alex la présentait : « Mama, c’est ma mère. » Puis ce fut mon tour. Alex me présenta également. Elle boucla la boucle par mon ami Antoine. La maman de Josette la petite amie d’Alex le fils de mon ami Antoine la salua avec la même chaleur qui marquait son plaisir à répondre à cette invite qui scellait une union entre deux familles, en attendant des jours plus cérémonieux. La poignée de main fut donc chaleureuse, accompagnée de ce sourire qui vaut tous les discours. Quand elle fixa les yeux de mon ami Antoine, elle eut un geste de recul puis cria : « non de Dieu ! »

La maman de Josette la petite amie d’Alex le fils de mon ami Antoine s’affala dans le fauteuil. Elle comprima sa poitrine de ma main droite. L’épouse de mon ami Antoine se précipita sur elle, lui demandant si elle avait subitement mal quelque part, à moins que ce ne soit l’émotion due à l’évènement du jour. Elle remua la tête en signe de dénégation. Mon ami Antoine se pris la tête dans ses mains. Il transpirait. Comme un flash, une image s’encadra dans ma mémoire : Arlette ! Criais-je.

« Que ce passe t-il » demanda l’épouse de mon ami Antoine. C’est Arlette, la maman de Josette la petite amie d’Alex le fils de mon ami Antoine qui répondit, s’adressant à sa fille.

« Josette, votre union est impossible. Alex est ton frère, voici ton père. »

Je ne vous fais pas un dessin sur ce qui se passa ensuite entre mon ami Antoine et son épouse.

« C’est trop bête dit Alex. »

« Oui, c’est trop bête repris Josette sa petite amie »

L’épouse de mon ami Antoine tonna. " Allons, entérines l’union de tes enfants. Tu devrais avoir honte Antoine. 18 ans que tu ne t’es pas assumé. 18 ans que tu n’as pas cherché à savoir ce qu’était devenu le fruit de tes œuvres."

« Lorsqu’un homme  cache son passé, il n'a plus de futur. »

Que tous ceux qui ont des oreilles entendent.

Pourvu que tous ceux qui entendent comprennent.

À bon entendeur, salut !

Benoît BIKINDOU