Ni vu, ni connu (Par Jean-Jacques Jarele SIKA)

Quand l’africain que je suis a débarqué à Paris en juin 2009, l’indifférence des gens les uns par rapport aux autres m’a sauté aux yeux. Et cela particulièrement dans les transports en commun. Les regards des passagers fuient. Ils n’arrivent pas à se regarder sans éprouver un certain malaise étrange.

Sans un coup d’œil à la personne assise à ses côtés, le nouvel arrivant s’installe. Débute alors un moment difficile à passer. Toutes ses personnes ; côte à côte, sont aussi éloignés que le pôle nord et le pôle sud.

Pour ceux qui sont débout, c’est encore pire. La distance est réduite, forcément, par les secousses du métro ou du bus. On se touche, on se frôle, mais sans regard. Quelquefois, un petit sourire, fugace.

Dans ces conditions, le trajet n’est pas de tout plaisir. Comme on se sent seul au milieu d’une grande foule !

A l’arrivée aux stations, renouvellement des passagers et même scène pour ceux qui restent. Pour ceux qui sont descendus, c’est ni vu, ni connu.

Lire un journal ou un roman est la meilleure parade que les passagers ont trouvée à Paris ou en région parisienne. Seul au milieu de tous, on se fiche comme d’une guigne de son voisin. On lit ou on fait semblant de lire.

Sans ce bout de papier, difficile de contrôler son regard. Ce regard qui va et vient et fini par rencontrer, au hasard de son vagabondage, celui de l’autre.

Et là, quelle gêne ! A peine si on ne s’en excuse pas :

« Désolé de vous avoir regardé ». Car les yeux parlent.

Tout cela se passe dans un grand silence, excepté le bruit de l’engin qui transporte les passagers. Pourtant, tous ces endroits publics ne sont-ils pas des lieux pour lier une amitié ?

Après, lorsqu’on se rencontrerait ailleurs, on se reconnaîtrait : « Tiens, on s’est connu dans le métro sur la ligne 8 ou dans le RER A ou RER D».

Si on était au Congo ou en Afrique, ce serait évidemment différent.

Dans les secousses du bus où l’on est parfois confinés surtout aux heures de pointes, quelques jeunes profiteraient de l’aubaine de se frotter à un soi-disant pneu bien gonflé sans en rendre compte. La jeune fille se plaindrait : « pourquoi tu me coinces, je ne suis pas ta femme » Le garçon rétorquerait : « tu ne vois pas que c’est serré ? » « Même si c’est serré, dois-tu me coincer ainsi ? » Trancherait la jeune fille. Sur ces routes parfois défoncées, ce serait le brouhaha. Des gens demanderaient : « il t’a coincé où ? »

Alors, on parlerait de tout et de rien, dans les rires, la discussion, les disputes. Et alors, quelqu’un se lèverait et crierait : «Mon Dieu ! Il paraît qu’on a encore changé la constitution ? ». Un autre enchainerait : « Tu as vu Alain Akouala hier à la télé ? Il portait un costume taillé sur mesure », encore un autre dirait : " Parfait Kolelas sera candidat, mais Sassou va gagner avec 67% de voix. Pardon chauffeur, je descends au rond-point de la Tsiemé".

Et qui sait s’il n’est pas descendu avec deux ou trois numéros de téléphone de portable !

Jean-Jacques Jarele SIKA