103 « bébés noirs » aux arrêts à Brazzaville

Depuis un certain temps la quiétude des citoyens de la capitale Brazzaville est troublée par des violences sur des individus pris au hasard ou ciblés, des vols à l’arraché avec violence, voire des viols en réunion souvent à la nuit tombée. Parfois, ceux qui résistent à leurs agresseurs sont profondément mutilés, certains y laissent leur vie.

Ce mercredi 30 décembre, La police nationale conduite par son directeur général Jean François Ndéngué, a présenté à la Presse 103 malfrats qui composent ces bandes qui sèment la terreur, dits « les bébés noirs », en présence des populations, peut-être parmi elles, des victimes.

Arrestation ou mise en quarantaine ?

À la faveur de l’opération « KIMIA 2015 » ou « TRANQUILLITÉ » censée permettre aux congolais de passer les fêtes de fin d’année en toute quiétude, la force publique mène des opérations dites coup de poing, afin de mettre hors d’état de nuire, ces malfrats dont les repaires sont souvent connus des services de sécurité. L’échantillon présenté avait du tout l’air d’une prise de guerre, car la force publique a décidé de partir en guerre contre les bandits.

Si la centaine de jeunes délinquants interpellés, dont l’âge varie entre 13 et 19 ans est presque sans casier, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sont pas inconnus des services de police, ou de la justice. Ces « enfants-délinquants » sont pour ainsi dire des multirécidivistes. Cette légion du mal composée des ressortissants des deux Congo et de la Centrafrique place la police et la justice devant un cas de conscience juridique qui par delà leurs actions, mettent les deux entités sous le coup de la loi. Leur arrestation, aussi médiatisée soit-elle, renvoie une fois de plus à du déjà vu. On n’en veut pour preuve l’embarras du colonel Jules Moukala Tchoumou, porte-parole de la police nationale à justifier les raisons qui font que ces individus, maintes fois arrêtés par la police, ce qui est louable, se retrouvent aussitôt dans la rue et sévissent à nouveau. Policiers et magistrats se renvoient la responsabilité de cet état de fait. Les uns arguent avoir fait leur boulot en appréhendant des délinquants déférés devant le juge; lequel juge s’estime de son coté, limité juridiquement dans la poursuite de la procédure, même si l’action judiciaire est matérielle.

Le nombre de délinquants poserait le problème de surpopulation carcérale, ce qui est déjà le cas pour les adultes qui sont en détention à la maison d’arrêt de Brazzaville arrivée à saturation, laquelle maison d’arrêt est en outre inadaptée pour l’accueil de jeunes délinquants. La population médusée ne peut s’empêcher des propos narquois du genre : « ils sont pris, mais pour combien de temps ? » Dans le cas d’espèce, au moins jusqu’à ce que les fêtes passent, quitte à entasser ces pseudo-bébés dans les cellules des commissariats.

Les « bébés noirs » écument aussi à Moungali et Ouenzé

En dehors des quartiers périphériques de Brazzaville où les actions des « bébés noirs », outre les vols et les viols s’accompagnent souvent de meurtres, surtout quand la victime les reconnait, le mode opératoire des bandes est presque partout le même. Des actions éclairs menées par des groupes de 10 à 20 individus dirigés par des chefs de bandes, dans un déchainement de violence inouïe, aux moyens de machettes, couteaux, barres de fer ou bouteilles en partie cassées. Une action fulgurante et désarmante pour les victimes prises dans une espèce d’étreinte. Des groupes bien connus, avec de chefs de bandes identifiés dans la plupart des cas, écument aussi à Moungali et Ouenzé, notamment aux abords des ruisseaux Mfoa et Madoukoutiékélé.

Les « bébés noirs » sont imprévisibles et attaquent sans crier gare. Sous la menace, ils arrachent bijoux, téléphones portables, argent ou tout autre objet de valeur sensé les intéresser chez leur victime. De nombreuses personnes, surtout d’origine ouest-africaine se sont parfois faits arracher leur cyclomoteur « Djakarta ». L’action ne dure que quelques instants, avant que le chef de bande ne crie « toléka ! », autrement dit « on décampe ».

« Bébés noirs », entre anges et démons

Ils passeraient allègrement pour des anges, si pour certains « bébés noirs », l’innocence de leur âge n’était pas trahie par ces cicatrices, marques de violence qu’ils portent souvent sur le corps telles des références identitaires. Leur âge, voire leur taille sont des appâts pour les incrédules sans méfiance devant ces enfants à l’allure apparemment inoffensive.

Une traque des « bébés noirs » par la police en journée, ne donnerait rien. Non pas qu’ils se terreraient dans leur repaire, loin s’en faut. Le jour, ils sont simplement chez eux. Souvent en échec scolaire, ils dorment le plus clair du temps, avant d’être des garçons de course pour leurs parents, leurs proches ou des voisins qui la plupart du temps, voient en eux des « enfants » sans histoire. Des anges. Pourtant, à la nuit tombée, ils deviennent des démons dont la puissance maléfique n’a d’égal que leurs actes abjects. Cette dualité comportementale a souvent desservi certains citoyens qui en situation de légitime défense avaient brutalisé des « jeunes du quartier ».

Tous coupables ?

La situation des « bébés noirs » et le casse-tête juridique qui en découle pose à bien d’égards de nombreuses questions quant aux moyens d’endiguer ce phénomène social qui si l’on y prend garde, créera demain des bandits de grand chemin. Entre les parents incrédules ou démissionnaires et les services de l’Etat dépourvus de solutions de remplacement après les échecs scolaires, chacun refile à la police des « bébés » qu’elle ne peut non plus garder. D’où son empressement à les déférer à la justice qui elle non plus ne peut à défaut de les mettre en détention, les reformer, aux moyens d’une correction qui déboucherait sur une réinsertion. Peut-être, devrait-on désormais se poser la question : ces jeunes sont-ils récupérables ou non récupérables ? Alors, la question ne concernerait plus uniquement le ministère de l’intérieur à travers la police, ni celui de la justice par le biais du juge, mais, outre le premier ministère de la société qui est la famille, ceux de la Jeunesse et de l’action sociale. Un vaste chantier auquel il va devoir s’attaquer sans tarder, si nous ne voulons pas sacrifier une partie de notre avenir au présent.

Benoît BIKINDOU