Fally Ipupa à cœur ouvert parle de son nouveau style de musique «tokooos »

Déterminer à sortir la rumba congolaise du ghetto et à élargir son audience loin des frontières nationales, l’artiste congolais, Fally Ipupa, comme son maître Koffi Olomidé avec « Tcha-tcho », lance «Tokooos », de la musique urbaine. «Je ne m’adresse plus seulement à la cible fan de rumba et de musique africaine. J’ai élargi mon audience », a déclaré le chanteur de «Droit chemin » dans une interview exclusive accordée à Jeune Afrique.

Ceux qui vous suivent depuis vos débuts, il y a vingt ans dans Talent latent, ont été surpris par ce dernier disque. Votre musique s’écarte beaucoup de la rumba. Avez-vous l’impression de vous occidentaliser ?

Ce que je fais aujourd’hui, c’est ce que j’appelle du tokooos, de la musique urbaine. Je ne m’adresse plus seulement à la cible fan de rumba et de musique africaine. J’ai élargi mon audience.

Ceux qui me suivent se souviennent que dans l’album Power on trouvait déjà des titres comme « Sweet Life », plus modernes. Au début, le public congolais était un peu choqué, mais maintenant il est prêt à entendre autre chose.

Papa Wemba vous avait accusé d’oublier les fondamentaux de la rumba congolaise en la modernisant.

Comment dire de cet immense artiste, notre père à tous, qu’il a menti ? Mais lui aussi s’est écarté de la tradition à son époque. Quant à moi, même si je change de style, je veille à garder mon authenticité. Je suis issu d’une des plus grandes écoles : le Quartier latin, le Harvard de la musique congolaise. J’ai été l’un des meilleurs soldats de ce groupe, j’ai mûri aux côtés de Koffi Olomidé, qui n’est peut-être pas le père de la rumba, mais qui l’a amenée où elle est aujourd’hui. Il y a eu la rumba de Tabu Ley Rochereau, le tcha tcho de ma génération, aujourd’hui c’est le moment de lancer la musique tokooos.

Vous pensez revenir à la rumba ?

D’abord il y a des titres comme « Jeudi soir », sur l’album, qui peuvent plaire aux amateurs. Ensuite, les fans peuvent se rassurer, je reviendrai bientôt avec un album purement rumba, le meilleur qu’ils aient entendu. Tout est déjà quasi enregistré, nous cherchons une date pour la sortie. J’ai aussi en projet un album avec Koffi et un autre avec R. Kelly.

Comment s’est passée la collaboration avec ce dernier sur le titre « Nidja » ?

R. Kelly est un grand frère pour moi… Je l’ai rencontré il y a plus de sept ans. Nous avons accroché notamment parce que nous savions tous les deux chanter et jouer d’un ou de plusieurs instruments. Très rapidement, il est tombé amoureux de mon talent et m’a proposé de faire un projet avec lui.

Moi je suis un artiste musicien, mais aussi un « featuriste » qui peut facilement s’adapter, je n’ai pas peur de prendre des risques. Lorsque j’ai lancé mon premier album solo, Droit chemin, il y a onze ans, on me prenait pour un dingue. Mais petit à petit j’ai réussi à imposer ma vision et à sortir d’une musique communautaire.

Ce dernier album multiplie les collaborations internationales : R. Kelly, mais aussi les Français MHD et Booba, la Belge Shay, le Nigérian Wizkid… Votre stratégie est-elle de vendre d’abord à l’international ?

Je suis pour les échanges, mais je n’oublie pas d’où je viens. Avec mon titre « Eloko Oyo », j’ai fait plus de 12 millions de vues sur YouTube [aujourd’hui près de 14 millions] en m’adressant d’abord au public de chez moi. La mélodie, la danse, la tenue vestimentaire sont propres à l’ethnie mongo, à laquelle j’appartiens.

On vous a accusé d’avoir plagié ce morceau…

Et il n’y a pas eu de procès, rien. Pour la bonne raison que, avant de reprendre ce titre à Mabele Elisi [leader du groupe Super 8-8], j’avais obtenu l’autorisation de sa femme et de ses enfants.

On dit que vous leur auriez versé la somme de 10 000 euros.

Ce qui est sûr, c’est que beaucoup de personnes ne se sont pas donné cette peine pour reprendre la chanson avant moi. Il y a beaucoup de jaloux dans mon sillage… Mais ils finissent toujours par devenir fans.

Que vous a inspiré l’annulation de votre concert du 22 juin à La Cigale, à Paris ?

Pour moi, le préfet qui a décidé de cette annulation a mal estimé le danger que représentaient les manifestants. Mais j’ai reçu le soutien de la communauté congolaise, de la diaspora, qui voulait non seulement soutenir ma musique, mais aussi aider le Congo : tous les bénéfices du concert devaient être reversés à l’Unicef. Il y a de graves problèmes de malnutrition infantile dans le pays, notre peuple est en train de mourir, et c’est comme si ces personnes qui habitent aujourd’hui en Europe y étaient indifférentes.

Les combattants ne représentent pas toute la diaspora. Il y avait beaucoup de Congolais qui souhaitaient assister au concert, on ne les a pas forcés à prendre leur ticket… et la soirée affichait complet [la jauge de la salle compte 954 places]. Moi qui suis congolais, je n’accepte pas cette violence, cette injustice, les insultes.

Les combattants estiment que vous êtes proches de Kabila ou qu’en tout cas vous ne vous engagez pas suffisamment contre lui.

Et eux s’engagent comment, où ? Derrière leur ordinateur ? Ils devraient faire quelques allers-retours à Kinshasa de temps en temps ! Je me suis personnellement battu contre les violences dans le pays dans le titre « Stop à la guerre ». J’ai offert des ambulances à l’hôpital de Goma, visité des femmes victimes de viols, acheté des terrains pour un orphelinat à Kinshasa, développé le réseau pour l’eau courante…

Il faut que nous arrêtions de nous faire du mal entre nous. Le Congolais ne doit plus combattre le Congolais.

Jean-Jacques Jarele SIKA /source : Jeune Afrique